Free cookie consent management tool by TermsFeed Policy Generator Poèmes inédits, Michèle Pettazzoni, 2023 - Passages, rubrique Textes - Les Jeunes Caractères
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Des mains et des liens
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Image : Margaux Carol

Des mains et des liens

Poèmes

Michèle Pettazzoni

11 juin 2023

La poétesse Michèle Pettazzoni nous a partagé, lors d'un entretien, des poèmes de sa main entrant en écho avec le thème de ce premier numéro. Margaux Carol, photographe à ses heures, nous a quant à elle proposé des clichés tirés d'une série, Titres provisoires, que nous diffusons en regard des poèmes de Michèle Pettazzoni. Que l'une et l'autre soient vivement remerciées pour leurs contributions, et que nos lecteurs soient touchés par l'ensemble créé.
 
 
*
 
 
Margaux Carol, Titre provisoire premier, 2022
 
 
*
 
DES MAINS ET DES LIENS
 
 
Quand je suis né un beau matin
des mains m’ont aidé à sortir
du ventre chaud où le destin
place les êtres à venir.
 
De ces deux mains je ne sais rien
hors de portée des souvenirs
nu au monde d’un tour de main
digne du vœu d’un magicien.
 
Étaient-elles jeunes ou vieilles
mains inconnues guettant l’éveil ?
Auront-elles coupé tant de liens
que fatiguées elles reposent
 
où d’ultimes mains les déposent
quand le cordon de vie s’éteint ...
 
 
16 octobre 2010
 
 
*
 
UN LONG PASSAGE
 

D'après "Gaspard Hauser" de Paul Verlaine
 
 
Je suis arrivé sans savoir.
J'ai tout regardé sans pouvoir.
Puis un beau jour, je suis parti...
J'avais tant de peine, tant de peine ici.
 
J'ai parcouru tous les chemins
et je ne savais toujours rien !
Le cœur lourd je me suis assis
avec ma peine, toute ma peine de vie.
 
J'ai levé les yeux vers le ciel,
le ciel était toujours pareil.
Alors un soir, suis reparti
tirant ma peine, toute ma peine en vie.
 
Je quitterai tout sans savoir.
J'aurai accompli mon devoir.
Je partirai sans un souci :
J'avais vraiment trop de peine, trop de peine ici.
 
 
12 mars 2003
 
 
*
 
FUITE EN AVANT
 
 
Je ne suis pas d'ici
je ne suis pas de là
je n'ai pour toute terre
que celle sous mes pas.
 
Je suis l'être éphémère
et voilà mes racines :
celles des cimetières,
celles des origines.
 
J'ai peur de certains toits
je préfère marcher ...
Et même quand j'ai froid
j'ai peur de m'arrêter.
 
J'ignore qui je suis...
Mais je finirai là :
sous la terre, prisonnier...
J'avance pas à pas.
 
 
25 octobre 2003
 
 
*
 
 
Margaux Carol, Titre provisoire second, 2022
 
 
*
 
LÉGÈRE
 
 
Un jour je serai légère
car mes os seront... poussière
je volerai libre au vent
plus rapide qu’un ballon.
 
Je dominerai la mer
infime grain d’ouragan
je franchirai l’océan
sans jamais toucher le fond !
 
Je survolerai la terre
en long, en large... et en rond
particule élémentaire
plus légère qu’un ballon.
 
 
26 octobre 2006
 
 
*
 
DILUTION MARINE
 
 
J'aimerais disparaître en mer
m'en aller comme Tabarly
ne jamais mordre la poussière
perdre pied dans un autre lit.
 
Couler à pic, glisser sans bonds
tourner le dos à la lumière
fixer mes yeux vers les poissons
vivant tombeau, la mer entière !
 
Me diluer à l'infini
m'étaler aux quatre horizons
étrangère à ceux qui espèrent
l'éternelle résurrection.
 
 
10 août 2004
 
 
*
 
LE GRAND VOILIER
 
 
Ma vie navigue entre deux rives
le rêve et la réalité,
voilier balloté par les brises
hanté par la peur de sombrer.
 
Sa proue frôle tant de secrets
ignorante dans ses aguets,
et sa cale est pleine à craquer
de souvenirs entrechoqués.
 
L’astre impavide éclaire un monde,
un autre dort dessous nos pieds.
L’éclat d’onyx des eaux profondes
ne cesse pas de l’attirer.
 
La voile continue ses rondes,
quelle main viendra l’arrimer ?
Tous les noirs nuages du monde
ne l’empêchent pas d’avancer.
 
 
*
 
FAROUCHE AMOUR
 
 
Farouche Amour,
à l'aube des baisers volés,
où fuyais-tu ?
Lèvres closes et bras noués...
 
Farouche Amour,
au midi des baisers dorés,
où courais-tu ?
Lèvres rouges, cœur embrasé...
 
Farouche Amour,
au soir des baisers consumés,
où brûles-tu ?
Le doigt ganté de la nuit
ourle ta bouche cendrée.
 
 
5 janvier 2003
 
 
*
 
L’ÉTRANGÈRE
 
 
J'accueille en moi une étrangère,
j'ignore sa nationalité.
Elle me ressemble d'étrange manière
et n'aime pas être regardée.
Elle parle une langue familière
que je ne peux pas répéter.
Souvent elle pleure, l'irrégulière,
elle n'aura jamais de papiers.
 
Je porte en moi une immigrée
d'un pays où l'on désespère.
Elle résiste depuis des années
et moi longtemps, j'ai laissé faire.
Je l'abrite du bon côté,
je la voile de ma bannière.
Elle a très peur d'être expulsée,
en moi elle tremble, mon étrangère.
 
Je vis avec une réfugiée
qui ne repartira jamais.
Elle m'habite comme j'habite la terre,
elle n'a d'autre lieu où aller.
Parfois en moi on la repère
à ses yeux tristes d'exilée...
De poèmes en tapis de prière
je noue ma vie à ses côtés.
 
 
2002
 
 
*
 
 
Margaux Carol, Titre provisoire dernier, 2022
 
 
*
 
DUNES FRAGILES
 
 
Nos vies s'effritent lentement
telles les dunes sous le vent
quoiqu'on fasse le sable passe
évanoui sans laisser trace
 
Tant de gens pleurent silencieux
un passé que rien ne ramène
une vie aux grains si soyeux
que seule la mémoire engrène
 
Aucun cordon aucun système
ne fortifie la dune humaine
tressée de chair et de sang
pailles dispersées par le vent
 
 
11 mai 2021
 
 
*
 
MÉMOIRES ENVOLÉES
 
 
Porté, transporté, déporté
le corps aux arrêts
ballotté
du ventre chaud de naguère
au train en gésine de l'enfer
emporté
voies déferrées de l'espoir
longues, jours sans pain et sans voir,
vides comme des avortées.
 
Portés, transportés, déportés
corps acculés aux barbelés
aux cris rentrés
aux corps perdus, solitude de l'œil.
Nuits de forceps et de brouillard
corps dérisoires
corps absolus
nus des membranes du rêve.
 
Portés, transportés, déportés
corps des incarnés, torturés,
des enfants effondrés, souffles empoisonnés.
Ventre foisonnant des fours
nombrils fertiles des cheminées
chair contre chair
os contre os
corps allégés qui s'enlacent
pendus aux cordons crématoires...
corps en fournées.
 
Prière : Mère des nuages qui passent
grosse de toutes les fumées
retiens les mémoires envolées
Mère des nuages fugaces
ventre bleu des nuits éparses
recueille en toi l'urne étoilée
Mère des nuages, retrace
aux yeux oublieux du passé
le souvenir des déportés.
 
 
À mon grand-père disparu à DACHAU
10 juillet 2002
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