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À la manière de...
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Image : Sarah Mariez

À la manière de...

Portraits de lettrés à la manière de...

Malo de Bizien

29 octobre 2023

L'auteur propose aux lecteurs un petit jeu de reconnaissance : saurez-vous, lecteurs, reconnaître l'auteur de qui sont inspirés ces pastiches ? Les réponses sont en fin d'article.

 

« Plus ne presteray livre quoy qui aviengne. »

Je cherche désespérément mon livre. Il était là, j’en suis persuadé, bien rangé dans mon étagère, tout près de cet autre, qui est, lui, à sa place, mais dont je me moque. Il n’y a rien qui énerve tant que de trouver un livre qu’on ne cherche pas. Il était pourtant là ! Et alors que la colère monte et que je cherche dans mon tiroir à chaussettes si, eu égard à quelque folie précoce, je n’ai pas rangé mon livre dans ma penderie, une inquiétude s’ébauche dans le sein même de ma colère. Je commence à comprendre que je l’ai prêté, ou plutôt que je l’ai peut-être prêté. Le monde prend des proportions démesurées. Mon livre n’est plus à sa place, il n’est même pas à quelques pas, il est en un endroit que je ne sais plus, avec quelqu’un que je ne connais plus, dont les mœurs envers les livres ont peut-être changé, qui, pire, a peut-être oublié que ce livre n’était pas à lui. Je me suis dépossédé. Mon univers mental a été fracturé, violé, j’ai organisé moi-même, consentant, le vol de ma mémoire. Hystérique, je continue mes recherches, sans voir, les yeux imbibés de sang et de crainte, la crainte de ne pas me souvenir l’identité de l’emprunteur. Je m’en veux. La culpabilité me fait haïr l’ensemble de mes amis. Dans le doute, tous sont coupables. Je me rassis à mon bureau, désespéré, et je commence à croire en un être supérieur qui me ramènera mon livre. J’envoie quelques messages, dernières paroles du Christ. J’en avais pourtant tant besoin, j’en avais la si grande nécessité ; je suis abattu. Son absence, et tout le travail effectué perd son sens. La citation que je voulais vérifier, le passage que je voulais relire, l’ouvrage que je voulais tenir dans mes mains – je reproduis mécaniquement le geste. L’absent n’a jamais été aussi contemplé. Je me décide à le racheter, mais j’abandonne, l’injustice m’ayant saisi : « Comment oserais-je, comment pourrais-je accepter le vol de mon livre ? » Je suis seul, abandonné et bouffi d’orgueil.

 

 

**

 

 

Romanophile, serf lettré, décida d’entamer son ouvrage :

Ecrire le mémoire

Des mémoires

En rimes léonines de seigneur Paslu.

Il quitta, pour le bien de l’étude, son proverbial entourage,

Monta à la Ville, s’installa sur l’avenue.

La rédaction ne mit pas long à chavirer

Le bel héros fut bien vite bien rabroué

Un Caton grisonnant lui ayant enseigné

Ce qu’il en était chez les intelligents

Les codes de la police lui inculquant,

Les codes de la parole,

Les codes de l’imprimerie,

Règles dont on raffole,

Des lois l’infanterie.

Romanophile dépité

Son maître l’exigeant s’emploie à contenter,

Il se déploie, se démultiplie et ne dit jamais « je »

Castre chaque phrase d’un terme de liaison

Pour employer toujours des tours avantageux.

Notre esclave s’abat en mille inclinaisons,

Il ne parle de lui que pour dire du mal,

Se plie comme la planche oubliée dans une flaque,

Dans son carnet ne lit que sa fin baptismale.

Romanophile ordonne et ne pense qu’en vrac,

Il oublie peu à peu les rimes léonines

Romanophile s’enlise dans la naphtaline.

A la fin de l’année revient en sa maison

Le jeune littéraire en complet mal taillé

Mutique et fort convenu, décati, mortifié,

Ayant pour tout mémoire une terne oraison.

 

 

***

 

 

Le cours commence.

Elle sent son cœur se dilater. Aucun de ses élèves ne réagit. Sa question lui semble pourtant simple, c’est une question fermée comme elle sait les faire. En face d’elle les étudiants la regardent, une volée de regards la transpercent et touchent à ce qu’il y a de plus sacré en elle, ils la violent. Une goutte de sueur coule sur son front, une autre dans son cou, quelques unes ruissèlent sur ses joues, et maintenant les gouttes de sueur l’empêchent de voir, elles coulent en vagues devant ses yeux. Elles la piquent, la démangent, tout son corps se charge de flammes. Les étudiants la fixent avec voracité. Elle n’ose pas reposer sa question, dans sa bouche les mots s’inversent, elle les sent. Ils ne sortent pas, elle refuse d’ouvrir la bouche, d’expulser le liquide verbal qui ne la sauverait pas, qui n’éteindrait pas les flammes qui lèchent maintenant ses pieds. Les étudiants se sont avancés, elle n’a rien vu et pourtant ils sont plus proches. Elle peut presque sentir leurs haleines chaudes et humides. Ils continuent de la fixer avec une intensité renouvelée, pénétrant toujours plus loin en elle, en des endroits où elle-même est refusée. Elle cherche à se défaire de l’emprise des élèves assis et muets. Elle sourie naïvement, la sueur l’érode toujours de plus en plus, les flammes atteignent désormais ses cuisses. Elle veut fuir. Où ? Nulle part, les fenêtres sont condamnées, la porte est derrière le groupe. Quelle idée que de s’être acculée dos au mur et d’avoir laissée la masse carnacière d’étudiants entre elle et son salut ? L’horloge démente continue de faire toquer les secondes. Les sons résonnent dans sa tête, de plus en plus fort, -Toc-, elle ne sait plus quelle était la question, -Toc-, ni quel était le but de la question. La fenêtre ouverte ne laisse plus l’air s’expulser, la température de la classe monte en flèche, ses yeux s’humidifient, -Toc-, ses oreilles vrombissent. Elle capte un regard, un regard vampirique qui s’attache à elle, l’attendait patiemment en embuscade, il l’arrache à elle-même, la déchire et la dévore. Elle croit hurler. Toc. Cligne des yeux. La classe la regarde dans l’attente, dans l’attente de quelque chose de neuf, d’un os à ronger. Ils continuent de scruter en elle, ses jambes flagellent, elle est obligé de s’adosser au bureau. Si seulement elle pouvait se cacher derrière comme les petits enfants se cachent des monstres sous leur couverture. Elle aimerait crier à l’aide, allumer la lumière, mettre fin au cauchemar, mais il fait grand jour et le cours a à peine commencer. Toc. La sueur grignote maintenant les os, les flammes déchirent le tissu épidermique de ses épaules. Tout son être s’embrase sous les regards, les regards qui persistent, les regards qui se font de plus en plus pénétrants. Toc. Ils voient tout, ses seins, son pubis, sa pilosité et même sa ménopause, ils voient ses doutes, ses échecs. Toc. Ils voient les errements et le chemin de sa pensée. Et alors que les flammes finissent de faire disparaître ses derniers cheveux elle sent qu’ils ont trouvé. Elle l’avait pourtant si bien caché dans le creux d’un pli de sa mémoire, dissimulé avec la plus grande attention. Toc. Ils l’ont trouvé, dans la petite chambre plongée dans le noir. Toc. Ils l’on trouvé, le cri qui vient de sous la couette.

 

 

Réponses :

Texte 1 : Roland Barthes

Texte 2 : La Fontaine 

Texte 3 : Nathalie Sarraute

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