Free cookie consent management tool by TermsFeed Policy Generator "Descendre vers la mer" d'Isabelle Blochet - Passages, rubrique Lectures - Les Jeunes Caractères - Malo de Bizien
Accueil
>
Numéros
>
Passages
>
"Descendre vers la mer" d'Isabelle Blochet
...

Image : Les Jeunes Caractères

"Descendre vers la mer" d'Isabelle Blochet

Malo de Bizien

25 juin 2023

Une femme, Hélène, raconte son enfance. Descendre vers la mer est un récit d’enfance en vingt-neuf chapitres : Hélène est la cadette, elle a deux sœurs ainées, Fanny et Véra. Elle a une mère qu’elle appelle « Suzanne », et non maman, et un père surnommé « Jany ». Et c’est bien ça le problème. Comme beaucoup de monde, Hélène a une famille et cela justifie bien un livre d’une centaine de pages. Il ne s’y passe rien, ou du moins rien de romanesque, c’est une vie de famille. Hélène est petite, elle grandit, sa mère travaille dans un magasin de meubles, elle ramène l’argent à la maison car le père est défaillant. La mère travaille à la maison car le père est un homme. Les grandes sœurs quittent progressivement le foyer familial et progressivement elles s’embrouillent avec le père. Il crie sur sa femme, elle endure, il crie sur sa femme, il l’aime, il ne jure que par le Bel Esprit et la Noblesse de cœur, bref il se cultive, elle non, elle repasse. La petite fille regarde. Elle a quelques échappatoires, mais rien de bien convaincant : la maison est une prison, la famille les barreaux. Le père prend une amante, elle le plaque. La mère prend un amant, le père finit par se suicider, c’est presque la fin, la mère passe de plus en plus de temps avec son nouvel amour, le livre se termine, la petite fille est seule, collégienne, dans la maison familiale sans famille, il fait nuit.
 
Hélène n’est pas Isabelle Blochet, et quand bien même ce serait le cas, ce n’est pas ce que nous dit le livre. Seul élément de rencontre pour le lecteur lointain : Isabelle Blochet est bibliothécaire, Hélène souhaite le devenir. La différence tient de l’éloignement. Hélène est le personnage de papier qui métaphorise le regard lointain de l’écrivaine, et cela est renforcé par son statut de cadette : « J’occupe ma place de petite dernière, celle qui observe et écoute en silence. »
 
Rares sont en effet les fois où Hélène parle aux autres personnages dans ce livre. De temps en temps, très rapidement, pour ne presque rien dire. Elle est quasi muette, mais ce mutisme n’est pas un choix, nous le dit le livre lui-même, c’est Hélène qui nous parle ! Ce mutisme enfantin tient de ce que nous connaissons bien quand nous sommes en famille : chacun son rôle. « J’occupe ma place » écrit-elle, comme s’il s’agissait de tenir une place armée et fortifiée qui pourtant est la sienne. Le verbe enregistre le conflit perpétuel qui a lieu dans la famille. La famille est toujours le lieu où l’on occupe des places, où la grande sœur se prend, en l’absence de la mère, pour la mère et où le grand frère joue au papa. Alors on tient bon sa position, ce que fait Hélène : elle tient sa position de muette. En nous racontant son histoire, Hélène fait donc le choix de ne plus être « celle qui observe et qui écoute en silence », mais celle qui parle. Le livre est le symbole d’un désir d’émancipation du cercle familial.
 
Ce désir de ne plus en être, de ne plus tenir sa place, tient au fait que la famille représente le grand monstre réifiant de nos vies. « Tu seras toujours mon petit garçon », m’a dit un jour ma mère, créant chez moi une angoisse qu’elle n’imaginait pas. Dans le style d’Isabelle Blochet : « Je dois me montrer parfaite comme la maison, ce qui n’est pas drôle non plus. »
 
Elle reçoit ses cousins et toute la famille pour la Pentecôte, alors il faut bien paraître. Ce qui m’intéresse ici, c’est la comparaison. Isabelle Blochet use peu de la métaphore, et je lui en suis reconnaissant. Elle préfère l’explicite de la comparaison, plus claire et plus tranchante : « parfaite comme la maison ». La maison rangée par la mère devient l’étalon comportemental de la fille, en conséquence de quoi il ne faut plus vivre mais se montrer, c’est-à-dire se prendre soi-même pour une image et pour un objet, un objet trimballé par les parents et exposé comme la mère expose ses meubles dans le magasin. Le plus intriguant est toutefois la relative : « ce qui n’est pas drôle non plus ». Pourquoi « non plus » ? Parce que ce n’est pas drôle une maison parfaite, c’est triste même, ça vit peu alors qu’un enfant ça cherche à vivre. Alors rien n’est drôle dans le fait de recevoir la famille, tout est plutôt triste, comme la fois où Jany a jeté une statue au visage de Suzanne ou comme la fois où la mère, lors de la Pentecôte, a avoué la tristesse de son couple à sa famille alors même que son mari avait mis l’ambiance. Ainsi en va-t-il de la narratrice, écrite de manière lointaine, parce que cet éloignement permet la rupture et l’écriture froide comme l’acier, ce qui étonnamment nous fait parfois monter les larmes aux yeux.
 
Lisant le livre d’Isabelle Blochet, je me surprends à lever les yeux en l’air en soufflant du nez :
 
Levé avant sa famille, à l’heure où la mer étend son velours, mon père fend l’eau. Il part chercher sur la côte le pain frais du petit déjeuner. Je sens son retour au tangage du Monplaisir quand il se hisse à l’échelle. Il me rapporte une gourmandise au chocolat que je déguste légèrement fondue, l’après-midi devant ma grille de mots croisés. Je suis la seule qu’il gâte ainsi. Mes sœurs n’ont jamais rien, et jamais elles ne se montrent envieuses. Je suis sa petite dernière. Tu ne trouves pas que notre fille est adorable ?
 
Je disais plus haut qu’Isabelle Blochet nous épargne les métaphores malheureuses, mais j’ai parlé un peu vite car l’écriture perd parfois sa tenue : « la mer étend son velours », « mon père fend l’eau ». C’est non ! On comprend l’idée de la matière maritime duveteuse, on voit les excroissances blanches laissées sur le sable, mais ça n’empêche pas que la métaphore soit de trop. Je ne dis pas ça par pur refus de cette figure de style mais métaphoriser la mer c’est un peu comme métaphoriser l’amour, c’est rigolo mais c’est facile. La preuve : « mon père fend l’eau ». Ça, ce n’est pas de l’écriture, c’est un topos : il fend l’eau comme on fend l’air, la bise, etc. La métaphore est pratique mais elle nous écarte du sujet et en cela elle déçoit. On est tout entier focalisé sur la famille, on la voit à travers les yeux de la petite fille. Soudain, comme pour m’empêcher de jouir de ce regard à cru, une métaphore convenue me rappelle que je lis un livre. Je suis alors projeté bien loin du sujet, et cela ne semble même pas fait exprès. Je me reprends et je passe à la phrase d’après.
 
Mon œil s’arrête alors sur ce qui me semble le second défaut de l’écriture d’Isabelle Blochet, défaut lui encore très rare : une tendance au maniérisme. Je lis : « une gourmandise au chocolat que je déguste légèrement fondue ». Le cas est moins pendable que le précédent, mais il relève tout de même de ma juridiction. J’aime la mention matérielle « légèrement fondue », l’image est belle mais elle est gâtée par le mot « gourmandise » et par le verbe « déguste ». La mention n’est pas invraisemblable ou fantaisiste, mais elle rompt avec le réalisme familier. « [D]éguste » vient seulement dire au lecteur que le personnage n’est pas de la trempe de ceux qui mangent, ni de ceux qui se goinfrent. Elle, elle « déguste ».
 
Fort heureusement, ces pics d’agressivité que peut procurer l’écriture d’Isabelle Blochet sont peu fréquents. À l’inverse, l’écriture est généralement plus fine, moins littéraire, et donc plus travaillée :
 
Comme lui je marche en forêt. Derrière la maison, j’emprunte le sentier longeant le bois de Jeanne. Ombre des arbres, lumière des blés, contrastes. J’aime le soir porter les traces de mes escapades, comme la crasse entre mes orteils, que je roule en fins boudins noirs. J’inspecte mes éraflures. Je chatouille le contour des croûtes épaisses de mes genoux. En les soulevant légèrement, je vois que la peau du dessous n’est pas cicatrisée. Rouge et humide, elle colle à la croûte. Il faut attendre le jour où celle-ci partira presque d’elle-même, laissant apparaître une peau fine, douce, à peine rosée.
 
Je sais ce qui me plaît ici : il n’y a pas de métaphores, il n’y a qu’un résumé d’actions et de sensations, comme un shot de sensible et de matière. J’aime « le contour des croûtes épaisses », le léger dégoût parfaitement assumé par l’adjectif « épaisses », la salissure roulée en « fins boudins noirs », les adjectifs de taille, comme si « boudins noirs » et « croûte » ne suffisaient pas. Il faut s’attarder sur la singularité de ces dégueulasseries. J’aime l’allitération « elle colle à la croûte ». On s’attarde sur le réel, sur sa matière, et en s’attardant on commence à rêvasser.
 
Dès le début du récit, la narratrice nous dit qu’elle est « moche ». La mocheté d’Hélène, c’est celle de la croûte, c’est la laideur de ce qui a souffert et qui a besoin de cicatriser. On entre alors dans une zone floue : la beauté viendrait-elle du calme intérieur ? C’est cela le récit d’Hélène, la croûte qui s’en va d’elle-même. Finie la rêverie, car ce que l’on aime le plus dans cet extrait c’est la phrase averbale : « Ombres des arbres, lumières des blés, contrastes. » La phrase ne s’embarrasse d’aucun verbe : rien que l’effet. Ne serait-ce pas le programme esthétique du livre ? L’ombre et la lumière, antithèse romantique par excellence, l’arbre et le blé, ce qui se tient raide et ce qui se plie : le père, rude et ombrageux, la mère, solaire et soumise. Contrastes. Tout est doux et ne se laisse pourtant pas impressionner par la vulgarité du réel, sa crouteuseté. La narratrice y fait attention, nous aussi.
 
Mais l’écriture attentive et douce d’Isabelle Blochet est un leurre, car lisant on pourrait ne pas s’arrêter devant ces petites phrases toutes timides qui nous feraient presque croire que c’est la petite Hélène qui écrit et non pas la femme qu’elle semble être devenue : « La glace à la fraise est servie dans le jardin. Suzanne est fière de sa nouvelle sorbetière. » Je lis, je souris. C’est mignon… Mais, n’y a-t-il pas une grande cruauté ironique ici ? « Suzanne est fière de sa nouvelle sorbetière. » Le mot « sorbetière » porte presque l’ironie en lui-même, comme le mot « cocotte-minute » : j’adore ma cocotte-minute. Je n’en suis pas sûr, je devine une petite pique adressée à la mère via la tournure passive de la première phrase : « La glace à la fraise est servie dans le jardin. » Qui sert ? La syntaxe de la phrase absente la personne, car c’est Suzanne qui sert. Qui d’autre ? « Madame est servie » dit la bonne qui devrait davantage dire « Je vous ai servie, Madame ». Tu es une femme dominée, et tu es fière de ta chaîne dit la syntaxe à Suzanne. En même temps, c’est vrai : « Suzanne est fière de sa nouvelle sorbetière ». Ces phrases anodines synthétisent le problème majeur de l’aliénation : le plaisir qu’on peut en tirer.
 
L’aliénation, surtout celle de la mère, est en effet le pivot sur lequel tourne le livre et sur lequel il s’amplifie. Le titre nous l’indique en partie : Descendre vers la [mère]. Suzanne est une femme qui a épousé à la fois son homme et son statut d’épouse et de mère, mais c’est une mère qui travaille, et traitant de cela Isabelle Blochet livre les plus belles phrases de son roman.
 
Elle ne touche pas de fixe, en début de mois elle commence de zéro. Dans le classement des vendeurs, elle est la première au chiffre. Elle s’est constitué une clientèle familiale. Les parents devenus grands-parents achètent pour les petits-enfants, ainsi de suite. Mme Suzanne est disponible ? Elle les rejoint souriante, impeccable dans son tailleur jupe. Bonjour messieurs damescomment allez-vous ? Elle écoute les réponses en dodelinant de la tête. Quand elle n’est pas appelée au standard, elle s’adresse directement aux clients. Je peux vous être utile messieurs dames ? La science consiste à faire le tri, d’un seul regard, entre les acheteurs et les flâneurs, les seconds lui faisant perdre un temps précieux.
 
L’univers de l’emploi et de sa nécessité vitale est écrite dans sa rudesse la plus totale : la femme est parfaitement précaire puisqu’elle n’a pas de fixe, elle est payée à la tâche, à la vente, à la prime. C’est une tâcheronne des temps modernes. « [L]a première au chiffre » le synthétise bien : elle est la première en matière de chiffre, mais elle également la première qui court vers le chiffre, les autres, sous-entendu, courant un peu vers autre chose. Les phrases commencent presque toutes par « elle » et par un verbe d’action représentant la mère en employée modèle, pour s’achever dans une phrase où cette mère est absentée derrière « la science » car, en définitive, l’employée modèle qu’est Suzanne ne vaut que pour ses qualités à ne plus être là, à ne pas perdre de temps, à être un objet technique au service de la vente. Un objet « impeccable ». Mais derrière ce tableau sombre de la condition de Suzanne il y a sa force vitale. Elle est malmenée par son mari, elle subit la double journée et pourtant elle reste « la première au chiffre », elle reste « impeccable ». Elle est de ceux qui ne faillissent pas. Derrière l’aliénation qui est représentée il existe une forme d’admiration, un peu moqueuse, de la petite fille pour sa mère.
 
Suzanne l’employée modèle est en effet une source d’étonnement et un objet d’étude toujours intriguant pour la petite fille. Suzanne est dans la salle de bain, elle se prépare à aller au « Port Royal », manière de parler du magasin où elle travaille et qui se situe à Port Royal. Encore une fois, Isabelle Blochet décrit avec minutie les actions de Suzanne.
 
J’assiste à la préparation de Suzanne pour le Port Royal. Elle retire les bigoudis, dont les pinces la piquaient depuis un bon moment. Ils ont formé des boucles blondes sur ses cheveux naturellement raides. Elle glisse la main dans ses collants et vérifie leur état. Elle en porte même aux beaux jours pour cacher ses varices. Elle enfile une gaine couleur chair, assortie à son soutien-gorge, regrettant d’avoir toujours un peu de ventre. Elle coiffe ses cheveux et prend soin de ne pas aplatir les précieuses boucles. La laque Elsève, en long tube doré, forme un nuage synthétique autour de sa tête. Il me pique le nez et les yeux, je prends soin de m’en écarter. Elle se maquille – poudre de riz, fard à paupières, mascara, rouge à lèvres. Elle s’habille de son tailleur jupe, se parfume d’eau de Cologne. Un dernier ajustement devant le miroir, elle est fin prête. Encore une belle journée à donner au patron, dit-elle.
 
La préparation à l’embauche ressemble à un vaste moment de maquillage avant de monter sur scène, car l’aliénation de la mère passe par ce grimage, par cette mascarade. Suzanne ne compte pas pour ce qu’elle est, elle compte pour ce qu’elle peut devenir, une femme factice : de fausses boucles fixées par une laque synthétique, des varices masquées par des collants, un certain nombre de produits de maquillage sur le visage, un uniforme, son « tailleur jupe » et une fausse odeur, le « parfum ». Pour qui Suzanne se métamorphose-t-elle à ce point ? Son patron. La puissance du paragraphe tient à ce renversement : « Encore une belle journée à donner au patron. » Dans l’imaginaire collectif, une femme ou un homme qui s’apprête veut séduire ou a minima plaire. L’emploi transforme l’acte de séduction en acte de vente. Le verbe « donner » achève en effet de brosser un tableau cynique de cette aliénation maternelle qui semble bien comprise par la mère, ce qui la transforme en un clown triste, déguisé mais conscient de son déguisement. Elle ne se vend pas au patron pour un salaire, salaire fixe qu’elle n’a pas, elle se donne. La mère de famille laquée à l’Elsève devient une prostituée. Pour cette situation, Hélène n’a qu’un mot : « je prends soin de m’en écarter ». La proposition passe comme si de rien n’était, mais il faut noter cette réaction de la petite fille qui recule devant cette métamorphose. La position distanciée de la jeune fille, fondement du régime narratif du livre, rejoint la distance qui existe entre la situation de la narratrice et celle de sa mère. L’émancipation féminine va de pair avec l’émancipation du travailleur.
 
On me reprochera peut-être cette interprétation en tambours et trompettes, caricaturalement marxiste. Pourtant Isabelle Blochet ne s’arrête pas à ces considérations connues, elle les dit à nouveaux frais – ce qui ne fait jamais de mal – et elle les problématise. Pour vous convaincre il ne me faut qu’un seul exemple, le lien entre l’aliénation maternelle et l’aliénation scolaire :
 
M. Verdier lui procure des joies intenses, ignorées de lui. Elle vit pleinement les périodes de composition qui scandent sa vie de mère : celles de décembre, d’avril et de juin. Dans la cuisine, elle me fait apprendre inlassablement mes leçons. Elle me lance à la volée un verbe – premier, deuxième ou troisième groupe – et un temps. Chanter au futur antérieur, croire au plus-que-parfait, finir à l’imparfait du subjonctifJe dois le conjuguer le plus rapidement possible. Et les récitations, longues, ardues, au vocabulaire riche, qui n’en finissent pas de l’exalter. Ah, L’Invitation au voyage… Mais écoute ces rimes, ce rythme, Baudelaire est vraiment merveilleux.
Contrainte par ses corvées ménagères, elle place mon manuel scolaire près de la vaisselle, des épluchures ou du linge à repasser. Elle m’entraîne telle une pouliche à la course. Je dois arriver première, avec une tolérance éventuelle pour la deuxième ou la troisième place. À ne pas relever les défis qu’elle me lance autant qu’à elle-même, le risque serait de la décevoir.
 
M. Verdier (qui porte le nom d’une des avenues de Montrouge, lieu où se passe un des moments du livre : clin d’œil ?) est le professeur de la jeune Hélène, et dans ce passage, l’école et la mère font bloc, mais ils font bloc d’une manière étrange :  « [c]ontrainte par ses corvées ménagères, elle place mon manuel scolaire près de la vaisselle, des épluchures ou du linge à repasser. » Le mot incroyable de cette phrase est la conjonction de coordination « ou » qui nous indique à quel point cette scène s’est répétée, peut-être tous les jours. Les corvées ménagères qui accablent Suzanne font écho aux corvées scolaires qui accablent Hélène. L’aliénation féminine est donc liée à l’emprisonnement de l’élève à l’école, et elle est l’alliée toute trouvée de cet emprisonnement. Suzanne qui était « première au chiffre » veut faire de sa fille la « première » au savoir. Je force peut-être le trait, mais la représentation de cette solidarité des aliénations m’a énormément plu. On la lit trop rarement dans les romans. Ce n’est qu’un exemple de ces autres solidarités paradoxales qui continuent d’enfermer Suzanne dans un rôle de « femme gelée » (Annie Ernaux). Je note pour le seul plaisir de le mettre en lumière ce cynique extrait : « Au mariage de la meilleure collègue de ma mère, mon père fait la rencontre d’une jeune femme, petite, fine, les cheveux bouclés. Il l’invite à danser, il s’enflamme. »
 
J’ai longtemps ris jaune de cette « meilleure collègue de ma mère » puisque fatalement la mère n’a pas d’ami. La mère n’a que des collègues étant donné qu’au Port Royal ou à la maison la mère n’est qu’une travailleuse. Elle est habituée à ne jamais être rémunérée. La dichotomie entre le mari chômeur charmeur de ces dames qui « s’enflamme » et la mère Suzanne, « femme gelée », est savoureuse tant elle est cruelle : le mariage gèle l’épouse mais permet au mari de s’enflammer… pour une autre. Ironie suprême, cette autre a très étonnement les mêmes caractéristiques physiques que la mère lorsqu’elle se prépare pour travailler : cheveux bouclés, ventre rentré par la gaine. On ne s’attend pas à cette cruauté sous cape d’Isabelle Blochet.C’est à mon avis ce qui fait de ce livre un premier roman intéressant. On attend avec curiosité son second.
Commentaires
Tout est bon !
Votre pseudo fait moins de 3 caractères.

Tout est bon !
Votre message fait moins de 2 caractères.