Je chante les héros dont Ésope est le père,
Troupe de qui l’histoire, encor que mensongère,
Contient des vérités qui servent de leçons.
Tout parle en mon ouvrage, et même les poissons :
Ce qu’ils disent s’adresse à tous tant que nous sommes.
Je me sers d’animaux pour instruire les hommes2.
Comme La Fontaine, Emmanuel Trédez met en scène des animaux. Comme lui, il prévilégie le vers. À sa différence, il ne formule pas vraiment de moralité : c’est à nous, petits et grands, de discuter du comportement de Lapin et de celui de ses amis. C’est à nous de le considérer comme un coureur de jupons sans scrupules ou comme un amant désespéré. En bref, c’est à nous d’exercer notre jugement pour le former ou de le suspendre pour laisser, plutôt que les moralités, le récit s’épanouir. Et quel récit ! Les jeux de sonorité et de prosodie nous permettent de rebondir d’un vers à l’autre. L’histoire se développe alors sous nos yeux, d’autant plus curieux que s’y reflètent les dessins de Delphine Jacquot.
Les progrès de Lapin sont alors prodigieux :
Finis les couinements, les grincements affreux !
Désormais, les voisins, au cours de la leçon,
Ouvrent les fenêtres et écoutent le violon3.
La Fontaine tenait le vers pour un ornement, c’est-à-dire pour une manière d’égayer ses fables. Delphine Jacquot préfère le dessin et nous prouve, encore une fois, à quel point le sien est agréable. Colorés et détaillés, ses personnages amusent par leur expressivité. L’atmosphère “dix-neuvième siècle” dans laquelle ils évoluent est rendue de telle sorte que nous sommes invités à y plonger. Le travail de cette illustratrice favorise incontestablement l’immersion de celles et ceux qui liront l'ouvrage.
Le soliste entre en scène, et sans tergiverser,
Attaque les Caprices à un rythme endiablé.
Tout lui semble facile, ou tout lui réussit,
Paganini n’aurait pas mieux joué que lui4.
Un mélange de douceur, de malice et de badinage. Peut-être est-ce une bonne manière de résumer l’esprit de Le Concert-Lapin. Quoiqu’il en soit, nous ne doutons pas que l’album ravira petits et grands – qu’ils le lisent sous un prisme lafontainien ou non !
1La Fontaine, Fables, "La Grenouille et le Rat", éd. Le Livre de poche [1971]
2La Fontaine, Fables, "À Monseigneur le Dauphin", éd. Le Livre de poche [1971]
3Emmanuel Trédez et Delphine Jacquot, Le Concert-Lapin, Didier Jeunesse, 2023.
4Idem.