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"Flonflons" - Gérard Lambert-Ullmann
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Image : Les Jeunes Caractères

"Flonflons" - Gérard Lambert-Ullmann

Malo de Bizien

12 Juillet 2023

Hic spoilatur.

Apéritif.

Flonflons est une merveille. Le roman se lit d’une traite et rapidement tant l’écriture de Gérard Lambert-Ullmann est puissante et prenante et l’histoire émouvante. On rit, on pleure de tristesse, on pleure de joie. On pleure de voir si bien décrit ce groupe d’amis hétéroclites et si beaux dans leur amitié. Petit à petit on découvre comment se sont trouvés ces gens, le libraire indépendant, la bibliothécaire, le militant éternel, le clochard céleste, etc. Il n’y a pas de personnages principaux, ou plutôt il n’y a que des personnages principaux réunis par le même plaisir de la vie, les mêmes désillusions, les mêmes espoirs, et surtout le même amour inconditionnel de la musique, du chant, de tout ce qui sonne, car pour eux, de la veuve proche du cimetière jusqu’à la petite Éva élevée par son père, les flonflons sont les bruits éternels, émouvants et omnipotents de leur amitié. Tout commence dans un café, en musique, et tout s’achève à Noël dans la musique.

 

Plat de résistance.

En 2021 la petite maison d’édition Le Temps qu’il fait publiait le cinquième livre de Gérard Lambert-Ullmann : Flonflons. On ne saurait bien parler de ce que l’on aime vraiment, car les paroles sont toujours percluses d’incertitudes quant aux mots qu’il faudrait employer. C’est devant celle que j’ai aimée que la banale phrase je t’aime a perdu tout son intérêt. Tâchons tout de même de mettre des mots sur ce livre.

*

Moins de quatre-vingts pages, des chapitres très courts non titrés, et quelques personnages. Tout commence dans un restaurant-bar-café où une bande d’amis dansent et chantent. Le lecteur suit la constitution de cette bande. Il y a le tenancier du restaurant, il y a la grand-mère veuve qui retrouve sa joie en fréquentant la petite bande, il y a un libraire indépendant, il y a une bibliothécaire délicate, il y a une femme fatale et intelligente, il y a le père veuf et sa fille orpheline de mère, il y a le clochard philosophe, il y a des instruments, il y a de la musique (la guitare de Chico, le saxophone de Fernand, la batterie de Tom, les danses de Dorée, les chansons des uns et des autres, l’accordéon de Gilles), il y a de la vie et il y a de la joie, et il y a mes larmes qui coulent en entendant la phrase de la petite fille venant de perdre le seul parent qui lui reste : « Je veux un accordéon. » Le diable s’est en effet grimé en destin et a assassiné une partie de la bande, comme ça, bêtement. C’est presque la fin.  Comment sont morts Évariste, le libraire ; Gilles, le père veuf ; et Fernand, le militant infatigable ? Ils manifestaient et une grue est tombée. C’est tout. La petite fille de Gilles, Éva, devient orpheline de mère et de père ; la libraire, Porcelaine, a perdu son amant et s’occupe maintenant de la petite Éva avec Guillemette, la grand-mère veuve. Pour Noël toute la petite bande organise une fête pour Éva. C’est la fin du livre : « Je veux un accordéon. »

*

On pourrait dire beaucoup de l’histoire, mais on perdrait le sucre. On pourrait dire beaucoup de l’économie générale du livre, mais on perdrait le sel. On oublierait sûrement de parler de ce qui fait de ce livre une sorte de merveille : l’écriture communiste. Qu’on me comprenne, l’auteur ne fait pas état de son adhésion partisane au PCF, et même si l’on sent bien la sensibilité de gauche de la narration, le véritable communisme a lieu dans le passage d’un personnage à l’autre. En parcourant ces pages, on découvre qu’il n’y a pas de personnages principaux, qu’il n’y a pas d’intrigues réelles, qu’il n’y a même pas d’éléments perturbateurs demandant aux héros de se surpasser pour devenir quelqu’un d’autre, une meilleure version d’eux-mêmes. Il n’y a rien de tout ça : le livre refuse le romanesque pour lui préférer la description de la vie, un point c’est tout. Il ne s’agit pas non plus d’un livre choral où l’on verrait les turpitudes bourgeoises des uns et des autres, à la manière d’un Paris de Cédric Klapisch, il s’agit tout au contraire d’un traveling autour d’une bande d’amis vivant avec et contre le monde. Là où le cinéaste débonnaire reconduit des clichés, le romancier Gérard Lambert-Ullmann critique le langage habituel pour remotiver la parole, geste moderne par excellence. Georges Bernanos en exil tançait la censure, décortiquait ses mots, les jetait, les montrait creux et en proposait des plus justes. Le romancier fait de même en épinglant les mots contemporains par des italiques ou des guillemets. Il redonne aux mots leur indicibilité propre et leur paradoxale capacité à mieux dire le réel. C’est, je crois, cela qui constitue les grands écrivains, en un seul geste ils dévoilent le monde, le rendent plus clair et en même temps ils dévoilent l’ambiguïté fondamentale du langage qui permet ce dévoilement.

 

Pierrot n’y avait rien objecté. Il avait déjà en tête le nom qu’il comptait donner à son bistrot-restaurant : Tu vas déguster ! L’ambiguïté de la formule lui plaisait bien, sachant qu’elle serait démentie par l’addition, plus que modeste, mais confirmée par la saveur des plats. Mais, alors qu’il allait concrétiser son choix, une émission débile de la boîte à abrutir, apprenant aux ménagères comment râper les carottes, avait adopté cette appellation. Il l’avait alors abandonnée à regret pour choisir : Par ici la bonne soupe ! Le clin d’œil subsistait. Mais Pierrot était aussi content de mettre la soupe à l’honneur. Elle qui était désormais bannie des soupers branchés. Son grand-père, qui en mangeait à l’ouverture de chaque repas, été comme hiver, lui en avait donné le goût pour la vie.

 

Le bistrot de Pierrot, c’est le livre de Gérard Lambert-Ullmann : on s’écarte de ce qui fait l’actualité, de ce qui fait la mode et on s’attache aux réalités contingentes et importantes de l’existence. D’aucuns parleraient d’un retour à la vraie vie, et c’est un peu vrai, à la différence que la vraie vie ne suppose pas une maison en campagne avec un canapé en velours dans lequel on s’emmitoufle dans un plaid blanc devant un poêle norvégien. La « bonne soupe » de l’auteur est un style où l’on décrit la réalité parfois avec excès pour en faire péter la vérité. On ne dit pas télévision, mais « boîte à abrutir », périphrase qui a l’avantage d’englober en son sein la télévision, le smartphone, la radio, la tablette, etc. Au même titre que Pierrot met la soupe à l’honneur, l’auteur remet la bande joyeuse et un peu vieux jeu sur le devant de la scène. Si la littérature de Gallimard préfère les turpitudes dépressives d’un couple d’assesseurs bourgeois, le roman de Lambert-Ullmann parlera des joies, des plaisirs et des désirs de demi-prolos bigarrés. Si la littérature de Flammarion aime à parler de l’importance d’être végétarien et d’aller se ressourcer aux Seychelles (j’exagère), Flonflons décrira avec une abondance la joie de la cuisine. Et c’est peut-être cela qui m’a plu, la vitalité des descriptions. Non que j’aime quand on parle des bons vieux plats bien de chez nous, mais j’aime quand on s’attarde sur les choses. Je laisse le lecteur découvrir la description de la bavette aux échalotes. Une merveille. Qu’importe le sujet, l’objectif est le même : déblayer la table de toutes les miettes langagières qui la couvrent. En miroir de l’énervement de l’auteur contre les bêtises langagières d’aujourd’hui, Pierrot s’emballe contre les descriptions absurdes des œnologues.

 

Pierrot peste aussi souvent, contre ces vignerons, cavistes ou amateurs de vin incapables de présenter les nectars qu’ils aiment autrement qu’en ayant recours aux sempiternelles comparaisons plates : fruits rouges, violettes, amandes, etc.

- Est-ce qu’on dirait d’une fraise qu’elle a un goût de Carignan bien prononcé ? D’une pêche qu’elle a des fragrances de Chenin ? D’un melon qu’il sent le muscat ?

Pierrot rêve de descriptions plus poétiquement parlantes : une cuvée à moustaches, un vin qui sent la poule, la barque sous les saules, la nuit sans lune, la rosée sur le trèfle, le chien de chasse mouillé, l’abricot de la vendangeuse…

 

Il ne s’agit jamais que d’un rêve, d’un désir de déconstruction du bâti qui s’est enseveli dans la banalité. C’est le rêve du littéraire : un monde toujours plus vrai et toujours moins bien classé. Car classer, c’est gommer les spécificités, écrire c’est les faire saillir. Toujours le même geste. J’ai vu et je n’ai rien vu.

En somme, c’est cela la finalité de l’écriture de Gérard Lambert-Ullmann, faire voire le monde en jouant avec les mots, ou plutôt ouvrir les possibilités du réel, c’est-à-dire dévoiler un pan de la toile, en la pointant du doigt et en disant au lecteur : « regarde par là aussi, c’est encore de la réalité ». Ouvrir les potentialités du réel, c’est ce qu’il fait quand il parle du « gadget informe à tics » ou lorsqu’il décrit le métier de Gilles.

 

Depuis la disparition de sa mère, Éva était paternée par Gilles avec un soin dorloteur. Son métier d’artisan l’obligeant souvent à se déplacer, il l’amenait avec lui dans des lieux qu’il s’efforçait de rendre enchanteurs. La couleur était son univers. Gilles était peintre d’enseignes, vitrines, fresques de murs de bistrots. Il en vivait frugalement, mais joyeusement, s’amusant, quand on lui demandait son métier, de se dire enseignant.

 

Le mot prête à sourire, mais c’est un sourire bien compris, de celui qui sourit de la malice et de l’intelligence du jeu de mots. Pour beaucoup l’enseignant est cet être morne et sans âge qui apprend aux élèves la contemplation des classiques et qui par là périme le monde dans un dégradé de noir, le noir du tableau, le noir de sa bure séculière. À l’inverse, l’enseignant poétique de Lambert-Ullmann est celui qui renverse l’état de fait et qui « malgré les menaces du maître / sous les huées des enfants prodiges / avec les craies de toutes les couleurs / sur le tableau noir du malheur / […] dessine le visage du bonheur. » (Prévert) Donner par les mots des couleurs à la réalité pourrait nous donner une première explication du titre : Flonflons. C’est la musique du bal, c’est le refrain d’une opérette, c’est la musique populaire, c’est la musique qui ne s’embarrasse pas de contrepoints fleuris. Je rêve. Le bal c’est où l’on va un peu comme on est, pour retrouver la petite communauté, c’est la musique qui unit.

*

Mais vient la grue, la manifestation contre le gouvernement, vient l’incident, vient la mort de Gilles, d’Évariste et de Fernand. Là où la mort de ces forts en gueule aurait pu faire chavirer le récit vers le désespoir et l’apocalypse, la fin du livre s’achève juste avant la fin d’année par l’expression de la volonté de la petite Éva : « Je veux un accordéon ». « Je veux un accordéon » n’est pas seulement le mot de la petite fille voulant imiter son papa, c’est le souhait de la jeune fille voulant faire communauté, dans l’art et par l’art. On ne tombera ni dans la littérature feel-good, ni dans la littérature bêtement dépressive, on s’accorde le droit de tenir la crête.

 

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