Il peut sembler un peu vain, voire un peu vaniteux, de consacrer un numéro au lecteur. N’est-il en effet pas nombriliste de se regarder soi plutôt que les livres qui nous sont offerts ? Après tout ce que la critique a pu en dire, après l’entrée fracassante du « sujet-lecteur » dans la recherche didactique et la construction des programmes disciplinaires de français du secondaire, reste-t-il encore des choses à dire sur lui ? Cela vaut-il réellement la peine de s’intéresser à cette figure, pâle et anonyme, qui ne fait que réceptionner tous les efforts et tout le génie de l’écrivain qui, …
Une parole. Voilà, peut-être, ce que nous voudrions inventer à l’aide de cette revue. Dans le monde critique actuel, il est parfois délicat de distinguer celui qui a lu, celui qui parle de sa lecture et celui qui participe à l’acte commercial. Parler de littérature contemporaine, c’est en effet pour beaucoup vendre un livre. BookTube, BookSta, BookTok… Les mots se ressemblent autant que les contenus convenus, uniformes et uniformisants qui y circulent et qui donnent de la production littéraire une image redondante. Quelles sont les voix qui, aujourd’hui, interrogent, critiquent, discutent les textes ? Marginales, ce ne sont ni celles des plateformes ni celles de la presse. Avouons que parler vraiment de littérature contemporaine ne rapporte pas grand-chose. Dans cette foule d’éditeurs, de libraires, de représentants et autres partenaires commerciaux, n’est-ce pas se condamner à n’être qu’une voix hurlant dans le désert ? Ami lecteur, tu l’auras compris, nous ne sommes pas de ceux qui prostituent leur plume pour la gloire.
Nous refusons la verticalité du monde du livre. Nous lui préférons l’horizontalité de notre amitié. Une communauté dans laquelle nous te convions, voilà notre indépendance.
L’indépendance est l’état d’esprit de notre revue. Nous valoriserons les manières libres de faire de la littérature. Ni le nombre de ventes ni le nom d’un auteur ne font un bon texte. Nos manières de lire seront donc exigeantes : nous attendons de toi, lecteur, la même vigilance à notre égard. Nous ne te prendrons pas pour un idiot, nous ne nous prendrons pas pour des prêcheurs. Nous attendons de toi ce que nous attendons de nous : dialogue et rigueur.
Convaincus que la littérature donne, à ceux qui écrivent et à ceux qui lisent, le pouvoir de changer la texture même de leur monde, nous prendrons les mots à la lettre car c’est la lettre qui charrie le sens. L’exigence du mot juste nous la cultiverons jusque dans nos écrits, persuadés que critiquer c’est créer et que créer c’est, toujours, renouveler son rapport au réel. Si lire, c’est encore se lire, la bonne lecture n’est jamais que celle qui décale un peu le miroir. Le tain est la forme, le reflet est le sens, et comme le tain peut modifier le reflet ! Nacrée, fissurée, déformante, la matière du miroir informe le reflet qu’il renvoie. Sans tain, point de reflet ; sans forme, point de sens.
Une parole. C'est, lecteur, ce que nous avons voulu te présenter à travers ces lignes.